Pourquoi le nouveau bulletin de paie simplifié est une fausse bonne idée

Le ministre de l’Economie Bruno Le Maire lors d’une intervention sur la simplification à Bercy, le 24 avril 2024.

Le ministre de l’Economie Bruno Le Maire lors d’une intervention sur la simplification à Bercy, le 24 avril 2024. NICOLAS MESSYASZ/SIPA

Décryptage  En voulant réduire le nombre de lignes sur la fiche de salaire, le ministre de l’Economie Bruno Le Maire cherche à valoriser le coût du travail au détriment des droits sociaux. Voici cinq raisons pour lesquelles cette simplification annoncée pose problème.

Simplification ne rime pas toujours avec clarification. La preuve avec le nouveau bulletin de paie présenté, mercredi 24 avril, par le ministre de l’Economie Bruno Le Maire. En proposant de réduire le nombre de lignes de 50 à 15, sous prétexte de lisibilité et afin d’alléger les contraintes des entreprises, le patron de Bercy renverse en réalité complètement le sens de lecture de l’antique fiche de salaire, repère essentiel pour savoir qui paye – et gagne – quoi.

1. Un tropisme « coût du travail »

C’est ce que chaque salarié cherche en premier lorsqu’il reçoit son bulletin de paie : ce qu’il va toucher à la fin du mois. En net, mais aussi en brut, afin – on ne sait jamais – d’être bien certain que l’employeur a intégré tout ce qu’il devait : les heures sup, la prime exceptionnelle, la prime d’ancienneté, les congés payés, la dernière augmentation, etc.

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Sauf que dans la version concoctée par le ministère de l’Economie, ce qui saute aux yeux, en gras et en majesté, ça n’est plus le gain mensuel mais la ligne « coût total employeur », comme si le salarié était avant tout un poste budgétaire… Elle intègre les cotisations et contributions patronales et, étrangement, la rémunération brute. « Histoire que le salarié se rende compte à quel point il coûte cher », note-t-on chez Force ouvrière (FO).

Le salaire net, lui, est relégué à la toute fin. Son montant étant moins important que la somme totale déboursée par l’entreprise et mentionnée plus haut, le salarié pourra, une nouvelle fois, apprécier l’effort consenti par son employeur. De quoi faire passer l’envie de demander plus ? Ou de se ranger derrière l’idée d’abaisser (encore) les cotisations – exactement ce que prône le même Bruno Le Maire dans son dernier livre ?

2. Des informations importantes effacées

Si le bulletin de paie fait parfois deux pages, c’est parce qu’il fourmille d’éléments importants concernant le financement de la protection sociale et la participation des travailleurs. Les salariés, quoi qu’en pense le gouvernement, ont pris l’habitude de les décrypter. Il n’empêche, Bercy propose, toujours pour simplifier – quitte à être simpliste –, de supprimer leur mention.

Au panier donc les lignes détaillant les cotisations versées à la Sécurité sociale, à la mutuelle, à la prévoyance, ce qui est payé au titre de la CSG et pour les tickets-restaurant ou encore remboursé par l’entreprise au titre des frais de transport… Au panier aussi le solde de congés payés et de RTT. Les cumuls annuels des cotisations et des rémunérations disparaissent aussi, ce dernier étant pourtant bien pratique au moment de déclarer ses impôts afin de vérifier les montants perçus.

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3. L’utilité des cotisations gommée

Aujourd’hui, chacun peut visualiser ce que lui coûte la Sécurité sociale, l’adhésion à une mutuelle, les retraites de base et complémentaires. Demain, cet effort n’apparaîtra plus dans le détail, mais de façon globale sous une ligne « contributions et cotisations sociales du salarié ». FO s’agace :

« Si l’ensemble des contributions et cotisations dédiées à la protection sociale […] est totalement invisibilisé, en revanche, avec cette proposition, les masques tombent : ce bulletin de paie simplifié acte la volonté jusqu’ici plus ou moins assumée des pouvoirs publics, et notamment de Bercy, d’en finir avec le paritarisme ! »

A l’unisson, tous les syndicats, mais aussi certains élus Les Républicains (LR), dénoncent la manœuvre. Les premiers, car elle contribue à dissimuler les droits sociaux et leur financement par le travail. Les seconds, car elle ne change rien aux modes de calcul. « Simplifier le bulletin de paie sans simplifier les prélèvements, c’est juste de la mise en page », a attaqué sur le réseau social X (ex-Twitter) Emmanuel Maquet, député LR de la Somme.

Et que dire en cas de hausse (ou de baisse) des cotisations ? Ni vu ni connu, elle passera inaperçue.

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4. Des vérifications impossibles

C’est le gros point noir, qui fait tiquer les syndicats : supprimer des lignes rend de fait impossible toute vérification. Or, en matière sociale, encore plus qu’ailleurs, le diable se niche dans les détails.

Vous avez fait des heures supplémentaires ? Seul le montant sera précisé, sans le taux horaire ni le nombre d’heures. Vous avez refusé d’adhérer à la mutuelle, car vous en avez une de votre côté ? Il faudra demander à l’employeur de vous fournir un récapitulatif des cotisations versées pour s’assurer que rien n’a été prélevé. Vous avez le droit à dix tickets-restaurant par mois, mais vous n’en avez reçu que cinq ? Idem : seul le service RH pourra vérifier les sommes ponctionnées. Une avalanche d’e-mails que redoutent déjà les entreprises…

5. Et un salaire qui reste toujours le même

Alors que les syndicats réclameront dans la rue lors du 1er-Mai de meilleurs salaires, la simplification suggérée par Bruno Le Maire ne changera rien aux fins de mois des Français. « Ce qui importe sur la fiche de paie, ce n’est pas de réduire à tout prix le nombre de lignes, mais bien d’augmenter le montant en bas de la page ! » clame FO. Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste, ne dit pas autre chose :

« La révolution selon Bruno : réduire le bulletin de paie à deux lignes. La vraie révolution pour les Français : l’augmentation du chiffre en bas à droite. »

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Le ministre de l’Economie jure que rien n’est figé et que des discussions s’ouvriront avec les partenaires sociaux. Evoquer cette simplification plus tôt avec eux aurait peut-être été judicieux vu comme les esprits sont déjà échauffés par la prochaine réforme de l’assurance-chômage au 1er juillet.

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